Pourquoi apprendre le tibétain ?
Nous pouvons apprendre le tibétain simplement pour pouvoir lire directement les rituels ou pour avoir accès aux textes philosophiques ou bien encore aux enseignements en général. Tout dépend donc de notre objectif et de l'énergie que nous sommes prêts à consacrer à cette étude. De toute façon, quel que soit le niveau atteint, c'est très bénéfique. Bien sûr, le mieux est de pouvoir aller assez avant dans l'apprentissage, ce qui permet d'accéder aux textes. La langue tibétaine apparaît alors comme une langue qui s'adresse directement au cœur. C'est une langue qui a été faite pour parler du dharma. Si nous pouvons éviter la traduction, nous recevons beaucoup plus qu'une information intellectuelle, c'est la bénédiction du maître qui a écrit ces textes qui nous est transmise à travers sa parole éveillée.
Par rapport à l'enseignement et à la philosophie, c'est extrêmement important. Des mots entendus habituellement comme des mots ordinaires, tels que "compassion, renoncement, foi" vont prendre leur sens véritable en tibétain, parce que, très souvent, ce mot sera la synthèse de deux notions. Par exemple, pour "compassion", le tibétain fait référence à la partie la plus noble, la plus pure de notre cœur, le "maître du cœur", pourrions-nous presque dire. Cela va élargir les concepts que nous pouvons avoir sur l'enseignement.
Si notre but est simplement de connaître l'alphabet pour savoir lire et déchiffrer les rituels, cet apprentissage est déjà en lui-même une bénédiction. Ainsi, "Utanamdje", un des cinq traités d'Asanga, analyse les dix manières de pratiquer le dharma. Il y a bien sûr l'écoute, la réflexion, la méditation, la pratique de la générosité mais aussi le fait d'apprendre à lire les lettres qui véhiculent les paroles du Bouddha. Pouvoir lire et réciter ces enseignements est aussi une forme de pratique.
L’essentiel est de voir que le tibétain est une langue extrêmement riche. Il existe un vocabulaire étendu et précis dans le domaine du développement de l'esprit et du fonctionnement de la conscience. En français, il existe certes de nombreux mots spécifiques comme conscience, sagesse, vigilance… mais en tibétain, il y a une multitude de mots ou de groupes de mots très courts, qui vont pouvoir rendre compte de différents types de sagesse, de différents types de conscience. Comme c'est une langue pratiquement mono ou dissyllabique, très peu de mots ou de syllabes suffisent pour faire des phrases d'une portée incroyable. En fait la grande différence entre un texte en tibétain et un texte en français c'est que le premier a la puissance de s'adresser à notre cœur directement, alors que le second va d'avantage s'adresser à notre intellect. En tibétain, certaines phrases de six ou sept syllabes sont comme une flèche qui nous va droit au cœur, flèche bénéfique, bien sûr.
Plus qu'un interprète
Quand on traduit un enseignement oral, le but est de faire passer le message dans l'instant; c'est plus une question de "feeling" que de précision véritable des termes à ce moment-là, encore que ceci varie en fonction des types d'enseignements. En ce qui concerne la traduction écrite c'est différent, car le texte va rester, ce il est donc plus une impression fugitive, mais quelque chose qui doit être travaillé. Il s'agit de réfléchir beaucoup plus au sens intellectuel qui va être donné ou tout au moins à celui qui va ouvrir la porte la plus large. Une des difficultés provient de ce que le vocabulaire tibétain a un sens beaucoup plus ouvert que le vocabulaire français. Du fait de notre culture, notre manière d'utiliser certains mots est très réductrice. Pour prendre un exemple : parler de foi ou de persévérance véhicule d'emblée des représentations toutes faites, alors qu'en tibétain, l'idée ou l'intention transmise est beaucoup plus vaste. A l'écrit, il y a deux possibilités : soit essayer de coller au plus près du texte, sans dévier de la moindre virgule, soit de rendre ce texte plus accessible à nos mentalités occidentales. A mon avis, la bonne traduction est celle qui, tout en étant la plus proche possible bien sûr, sait rester accessible aux personnes qui vont utiliser cette traduction. Parfois certains textes traduits, représentent un très grand travail, mais ils sont tellement difficiles d'accès, qu'ils semblent réservés aux gens qui connaissent déjà le sujet et le tibétain. On finit par se demander pourquoi cela a été traduit. A l'inverse, à trop s'éloigner d'un mot à mot, en pensant n'avoir à garder que le sens, il y a risque de tomber dans un «péché» d'orgueil. C'est donner son interprétation personnelle. La traduction écrite pour l'instant est donc extrêmement difficile. A ce jour, on n'a pas fait le tour de tout le vocabulaire à utiliser en français. De plus, la structure même des phrases tibétaines est très différente de la nôtre. En tibétain, les choses sont exprimées dans l'ordre de la logique et du temps, dans la construction d'une phrase, le point de départ est une cause qui aboutit au résultat. Parce qu'il y a quelque chose, il va y avoir autre chose. En français, il y a donc des restructurations à faire, au risque parfois de perdre le sens.
Le tibétain : une pratique
Apprendre le tibétain est déjà une pratique de chiné, ne serait-ce que l'écrire. Cela demande un minimum de concentration au départ et c’est aussi une manière d’élargir, d’ouvrir la compréhension que l’on pourrait avoir.
Le mot « zeupa » par exemple, est souvent traduit par patience, alors qu’en fait, il véhicule l'idée plus large de capacité à accepter. Il peut s'agir de zeupa vis-à-vis des ennemis, des difficultés sur le chemin, mais on va parler aussi de zeupa vis-à-vis de la vacuité. Cela ne veut pas dire grand chose, alors que capacité à accepter la vacuité, cela va déjà être beaucoup plus clair. Persévérance en français est synonyme d'énergie, d'opiniâtreté, en tibétain cela donne une idée d'enthousiasme à faire des efforts, parce qu'on a une vision claire du but que l'on s'est fixé. L’étude du tibétain, même sans forcément connaître beaucoup de grammaire, permet d'avoir rapidement une vision moins restrictive de l'enseignement du Bouddha et d'accéder à une autre forme de la bénédiction des maîtres.
Gampopa a dit que ceux qui n'ont pas pu le rencontrer de son vivant, l'auront rencontré tout de même s'ils ont lu "Le joyau ornement de la libération". Intellectuellement, on peut penser que cela signifie: Il a dit dans son texte tout ce qu'il avait à dire sur le dharma. Si on lit le texte en tibétain, il se passe des choses beaucoup plus profondes que la traduction, aussi bonne soit elle, ne pourra pas offrir.
On reçoit dans le texte originel, toute la puissance d'expression d'un être éveillé.